Quand la communication interne redistribue le pouvoir
La gouvernance de l’entreprise est en train de devenir un sujet absolument central. On voit souvent les grands échecs de management le ramener au premier plan. Ne parle-t-on pas d’ailleurs de « Ghosnisation » pour décrire l’hubris d’un grand patron qui négligerait les pouvoirs qui le limitent ?
La question de l’équilibre des pouvoirs et des garde-fous nous semble plus vive que jamais. Mais de quels pouvoirs parle-t-on ? Les spécialistes en distinguent trois : le pouvoir souverain (les actionnaires), le pouvoir exécutif (le directeur général ou le président-directeur général) et le pouvoir de surveillance (le conseil d’administration ou le conseil de surveillance), chacun jouant le rôle d’un contre-pouvoir pour les autres.
Quel rôle pour les salariés dans la gouvernance de l’entreprise ?
Le sujet qui nous intéresse plus particulièrement ici est celui du rôle des salariés au sein de ces pouvoirs. C’est un débat en fait assez ancien et qui a pris plusieurs formes, jusqu’à l’acceptation générale de l’idée qu’ils constituent une partie prenante à part et indispensable à la réussite de tout projet productif. Le mot d’ordre employee first, très entendu ces dernières années et qui conteste le traditionnel « client first », est une illustration de cette volonté de donner plus de pouvoir aux salariés.
Plus modestement, le rapport Notat-Senard les consacre comme une des deux parties prenantes « constituantes » de l’entreprise, avec les actionnaires.
Le sujet apparaît d’autant plus sensible que, depuis la crise de 2008, les contempteurs de la financiarisation voient dans le renforcement du « pouvoir salarié » une atténuation nécessaire de l’alignement des managers sur les intérêts des investisseurs et des actionnaires déloyaux (au sens où la continuité de l’entreprise n’est pas leur souci)1.
Plus de pouvoir pour les salariés, donc, mais sous quelle forme ?
Le pouvoir souverain ?
Les salariés peuvent déjà y participer en devenant actionnaires (Airbus, Arkema et Essilor ont été régulièrement cités par Emmanuel Macron comme des « bons élèves » de ce point de vue).
Le pouvoir de surveillance ?
Une législation plus favorable les consacre à la fois comme représentants des actionnaires-salariés et du personnel dans son ensemble au sein des conseils.
Le pouvoir exécutif ?
C’est ici que leur implication est la plus mal assurée. Principalement car leur « participation » à ce dernier pouvoir est dévolue aux instances représentatives du personnel, qui souffrent du double handicap de se limiter à émettre des avis et d’être marquées par la culture contestataire des syndicats français.
Néanmoins, de nombreuses entreprises – EDF, Veolia, Danone… – semblent décidées à co-élaborer leur stratégie en direct avec les salariés, sans médiation instituée.
Danone, par exemple, annonce dans son framework stratégique vouloir « confier le futur à [ses] équipes », en permettant « à chacun de [ses] salariés de participer à la définition de [son] agenda stratégique et [ses] Objectifs 2030, tant au niveau local que global ».
Par le biais de ces mécaniques participatives, le rôle des salariés dans l’exécutif est croissant. On ne leur donne pas le pouvoir en tant que tel mais quelque chose d’aussi important : designer et hiérarchiser les problèmes qui doivent être traités ainsi que leurs résolutions, et parfois même interroger l’organisation du pouvoir de mise en œuvre.
Les trois rôles de la communication interne dans la gouvernance
Dans cette perspective, la communication interne joue un triple rôle.
1. Acculturer les futurs contributeurs aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux.
C’est une nécessité pour qu’ils puissent jouer le rôle d’input stratégique qu’on souhaite leur confier.
Cet enjeu est passionnant et complexe, de par l’étendue et l’hétérogénéité des audiences, et leur défiance naturelle (le libre arbitre rend nécessairement défiant, et c’est tant mieux : la confiance se mérite !).
Cette nécessité d’acculturation conduit à inventer de nouveaux protocoles : learning expedition, microlearning, interactions avec les parties – car il est essentiel de montrer l’environnement tel qu’il est mais aussi tel qu’il est perçu –, pratique du co-design…
2. Organiser la participation.
Il s’agit de contribuer à la création, à la régulation et à la promotion des interfaces spécifiques qui permettront aux collaborateurs de s’exprimer et de se prononcer. Et veiller à ce que la démarche ne soit pas un « coup » mais une énergie constante.
3. Mobiliser autour de la raison d’être (le « purpose »).
En organisant le soutien sincère et consenti — puisqu’il aura été co-construit — de l’entreprise (raison d’être, valeurs, projet opérationnel). En ayant en tête que ce soutien ne rimera pas nécessairement avec l’engagement (« je suis prêt à vous aider ») mais se traduira parfois par une abstention bienveillante, une timide volonté d’échanger ou la manifestation d’un accord qui ne débouchera pas nécessairement sur une action.
En s’appropriant ce sujet de gouvernance, et donc en acceptant d’être l’instrument de sa « démocratisation », la communication interne deviendra un asset indispensable aux yeux des dirigeants. Qui sont aussi les payeurs…
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