Changer les organisations plutôt que changer les femmes
Quand on parle de « leadership au féminin » vient instantanément à l’esprit l’image d’une executive woman en talons hauts tout droit sortie des années 1980. Cette expression peut irriter, en cela qu’elle cantonne les femmes à des façons d’être et de faire caricaturales, qui ne seraient pas le fruit de leurs réflexions, de leur formation ou de leur expérience, mais la conséquence inéluctable de leur genre et des stéréotypes qui y sont associés.
Ainsi, les femmes seraient collectivement absentes du haut des pyramides hiérarchiques en raison de leurs comportements individuels à l’opposé de ce qui fait un leader : manque de confiance en elles, absence d’ambition ou priorité donnée à leur famille, pour n’en citer que quelques-uns. Pour pallier cet apparent défaut d’appétence pour le pouvoir, nombre de programmes de formation et de coaching proposent aujourd’hui aux femmes d’améliorer leurs soft skills (confiance en soi, prise de parole en public, gestion des conflits).
Il y aurait donc d’un côté un leadership « neutre », le vrai leadership, qu’il n’est pas nécessaire de qualifier mais dont on sait (comme toujours en français) qu’il est masculin, et de l’autre un leadership « au féminin », qui n’offrirait à ses adeptes d’autres choix que de singer les codes du pouvoir masculin ou de jouer sur les codes d’une supposée « féminité ».
En réalité, plusieurs études montrent que les femmes ont des aspirations professionnelles et des niveaux d’ambition sensiblement similaires à ceux des hommes. Ce n’est donc pas l’inaptitude supposée des femmes à se comporter comme des leaders qui ralentit leurs carrières, mais des causes extrinsèques et systémiques :
- Les stéréotypes de genre (et ses corollaires, notamment la perception de la maternité comme d’un risque et la répartition des rôles dans les foyers),
- La persistance des entre-soi masculins et boy’s clubs,
- Le sexisme (y compris le sexisme dit « bienveillant) et les violences sexuelles.
À problème systémique, réponse systémique. Arrêtons de faire porter aux femmes toute la charge mentale et la responsabilité de se fondre dans un moule qui ne veut pas d’elles, et engageons les organisations à réfléchir collectivement et structurellement aux changements nécessaires pour que les femmes puissent se projeter dans des rôles de dirigeantes et y accéder.
Trois pistes en ce sens :
1. Engager les leaders
Il n’y a pas de transformation possible sans engagement fort et visible du top management. Cela passe par des décisions concrètes et des objectifs chiffrés sur lesquels l’entreprise communique, et des initiatives de type mentorat et sponsorship. Ces politiques ont un double bénéfice : faire de la question de l’égalité une dimension stratégique de l’entreprise, et faire émerger des role models pour les jeunes femmes. Ainsi, le groupe SPIE a pris l’engagement d’augmenter de 25% la part des femmes à des postes de management d’ici 2025.
2. Revoir les process
Faire évoluer les pratiques internes pour rendre aux femmes la place qu’elles devraient légitimement occuper implique de revoir tous les process à l’aune de la question de l’inclusion. En effet, si la mixité reste cantonnée à une problématique RH, le changement de paradigme n’aura pas lieu. Il s’agit donc de repenser ses process RH, sa culture managériale et sa communication (le langage étant un levier fort d’inclusion)
3. Donner des clés aux individu.e.s
Plutôt que de réfléchir une énième fois à comment les femmes pourraient se comporter différemment pour franchir les barrières qui s’élèvent sur le chemin de leur carrière, nous pourrions interroger le rôle des hommes dans la quête de l’égalité professionnelle. Apprendre aux hommes à sortir des codes de la virilité, qui d’ailleurs pèsent à certains d’entre eux, permettrait d’inventer un nouveau modèle de leadership, un leadership de l’équilibre, dans lequel les femmes auraient toute leur place.