L’assourdissant silence des DRH
À la lecture de l’excellente étude de nos camarades d’Angie+1 sur les dirigeants les plus influents sur les réseaux sociaux, nous nous sommes tout naturellement posé la question : et les DRH ? Sont-ils très actifs sur les réseaux sociaux ?
Pour le savoir, nous avons, en plus du CAC 40, listé les entreprises de référence du SBF 120 figurant en bonne place dans un ou plusieurs classement employeurs et avons exploré avec enthousiasme leur activité sur LinkedIn, réseau social de l’emploi et des sujets RH par excellence.
On pouvait en effet s’attendre à ce que les DRH s’en soient emparés et en aient fait le terrain de jeu privilégié de leur expression dans une perspective d’attraction, de rétention et d’engagement.
Mais cet enthousiasme a été rapidement douché. Nous sommes en effet arrivés rapidement à la conclusion suivante : les DRH ne s’expriment pas ou peu sur les réseaux sociaux et notamment sur LinkedIn. Ou à tout petits pas : quelques likes, partages. Les prises de parole réelles, rédigées, sont extrêmement rares ; les prises de position encore davantage. Nous avons bien trouvé quelques aventuriers – par exemple Yves Martrenchar, DRH Groupe de BNP Paribas avec pas moins de 40 posts et 8 tribunes publiés ces 12 derniers mois (pour plus de 8 900 abonnés), Claire Pedini chez Saint-Gobain ou encore Xavier Chéreau chez PSA – mais ils ne sont pas légion.
Ainsi, nous avons étudié 245 profils de DRH appartenant à 126 entreprises différentes. Pour chacun de ces profils, nous avons passé en revue : la présence ou non sur LinkedIn, le nombre d’abonnés, le nombre de posts à valeur ajoutée (c’est-à-dire une prise de parole directe ou bien un commentaire structuré en partage de contenus déjà émis) et le nombre de tribunes (une tribune étant définie comme un contenu plus étoffé et diffusé via l’outil Pulse de LinkedIn).
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Durant les douze derniers mois :
– seuls 20 % des DRH du panel de notre étude ont publié un post à valeur ajoutée (12 %) ou une tribune (8 %) ;
– 4 % seulement des DRH de notre panel avaient publié au moins une fois par mois un post à valeur ajoutée ou une tribune.
Le résultat en termes d’audience et d’influence en est la conséquence : seuls 30 % des DRH de notre panel comptent aujourd’hui plus de 500 abonnés, 19 % plus de 1 000 et 9 % plus de 2000.
Un silence contre-intuitif
C’est d’autant plus étonnant que les sujets de réflexion et de débat ne manquent pas dans le domaine des RH et pour cause : les enjeux humains n’ont jamais été aussi importants.
Et ce sont des enjeux de profonde transformation autant culturelle que stratégique pour les entreprises : la cohabitation entre les salariés des générations Y et Z et les plus anciens, le développement du freelancing et de nouveaux codes relationnels hors du salariat, l’intelligence artificielle et son impact sur les modes de travail, l’engagement des collaborateurs, les nouvelles formes de management, l’éclatement des espaces de travail, etc. Sur tous ces bouleversements, les différents publics – pairs, candidats, salariés et plus largement parties prenantes – attendent que les entreprises partagent leur vision ou a minima expliquent et contextualisent ce qu’elles mettent en œuvre.
Et plus généralement, comme le souligne Damien Viel, le DG France de Twitter : « Il y a une attente de la part du public comme des salariés : un dirigeant, aujourd’hui, doit porter des valeurs. Communiquer sur ce qu’il fait et sur ce que fait son entreprise, valoriser ses collaborateurs et les promouvoir à l’extérieur comme à l’intérieur. » Si les DRH ne le font pas, alors qui ? Et si ce n’est pas sur LinkedIn, alors où ?
Autocensure ou absence de positionnement ?
Alors pourquoi tant de pusillanimité ? Nous avons bien quelques idées à avancer. Bien sûr, poster sur les réseaux sociaux prend du temps dans des agendas clairement déjà surbookés ; bien sûr, les DRH ne sont pas tous des digital natives qui maîtrisent les arcanes des réseaux ; bien sûr, tout le monde n’a pas une plume qui lui permet de publier un texte impactant. Mais tous ces arguments ne sont-ils pas de faux problèmes et surtout la partie émergée d’une crise plus profonde de la fonction RH.
Car finalement, les DRH d’aujourd’hui ont-ils vraiment réussi à sortir de la dimension essentiellement process (SI RH, gestion des payes, etc.) qui était initialement dominante dans leur fonction pour embrasser pleinement une vision people et change de leur métier ? L’entreprise leur reconnait-elle la légitimité à prendre la parole sur ces sujets RH et de transformation qui, bien souvent, cristallisent certaines difficultés internes ? Les DRH eux-mêmes ne s’appliquent-ils pas une forme d’autocensure ? Les transformations profondes que vivent les entreprises créent-elles un contexte d’instabilité qui les empêche de prendre la parole, de se positionner ? Ou bien craignent-ils de se mettre en porte-à-faux en donnant à voir un décalage entre leur vision et la réalité au sein de leur entreprise ?
Aller au feu
Et malgré tout, les DRH vont devoir aller au feu s’ils ne veulent pas se trouver rapidement confrontés à un défaut de légitimité. Au-delà d’un nécessaire accompagnement de certains pour lever des blocages pratico-pratiques (acculturation à l’outil, aide rédactionnelle, etc.) c’est surtout sur leur positionnement même que les DRH doivent se faire accompagner afin s’emparer pleinement de la stratégie de prise de parole sur les sujets people/culture/change, de la porter en interne et de la coordonner avec les autres membres de la direction de l’entreprise.