Toutes les raisons de se doter d’une raison d’être se valent-elles ?
Dans La société à mission, Errol Cohen1 aborde rapidement la question des motivations qui poussent les entreprises à se doter d’une raison d’être voire à adopter le statut d’entreprise à mission.
Force est de constater que les motivations intrinsèques (c’est-à-dire « uniquement conduites par l’intérêt, le sens et/ou le plaisir de l’action ») ne sont pas les plus courantes.
Certes, on observe chez certains créateurs ou dirigeants d’entreprise une envie réelle de donner un nouveau visage au « capitalisme » ou tout du moins davantage de sens à leur action en mettant leur entreprise non pas ou non plus uniquement au service du profit mais aussi au service du « bien commun ».
Mais le plus souvent, les motivations extrinsèques (« provoquées par un élément extérieur : punition, récompense, pression sociale, obtention de l’approbation d’une personne tierce ») sont les plus présentes.
Parmi les sources de motivation extrinsèque, la première est le besoin de répondre à la pression croissante de l’opinion (et donc des consommateurs-citoyens) de voir adopter par les entreprises des comportements plus vertueux, c’est-à-dire respectueux de l’intérêt de toutes les parties prenantes (constituantes, engagées et même uniquement affectées indirectement par leurs actions).
Attention au purpose washing
Définir et afficher une raison d’être peut alors être considéré comme une posture marketing qui, si elle ne se matérialise pas par des engagements et des actions concrètes, peut s’apparenter à du « green washing » voire à du « purpose washing ». Le risque d’être rapidement démasqué et décrié est élevé : les médias et l’opinion, parfois échaudés ces dernières années, sont en effet vigilants.
Une autre source de motivation extrinsèque est parfois évoquée : préserver l’ADN de l’entreprise d’une OPA hostile. Lorsque la mission de l’entreprise est inscrite dans ses statuts, celle-ci devient opposable à quiconque voudrait en prendre le contrôle pour la transformer dans une logique court-termiste, sans tenir compte de son ADN.
On le voit donc, la pression sociale, le souci de son image, la volonté de préserver son indépendance semblent souvent dominer dans les motivations des entreprises. Ces motivations extrinsèques pourraient par ailleurs être renforcées demain par des incitations financières et notamment fiscales.
Doit-on s’en émouvoir ?
Pas forcément, et cela pour plusieurs raisons.
On peut tout d’abord espérer que les motivations extrinsèques précédemment évoquées seront le préalable à des motivations plus intrinsèques, que les dirigeants d’entreprise finissent par se prendre au jeu, par s’identifier à leur raison d’être2.
Bref, pour le dire autrement, la motivation extrinsèque précède souvent la motivation intrinsèque.
Par ailleurs, quelles que soient les motivations initiales qui auront conduit à définir une raison d’être, la démarche en elle-même est susceptible de générer ensuite de réelles sources de motivation intrinsèque chez les parties prenantes. À commencer par les collaborateurs : les impliquer dans le process de définition de la raison d’être, voire dans le suivi des engagements pris par l’entreprise, permet de donner davantage de sens aux actions individuelles, de renforcer leur relation à l’entreprise et, ainsi, de poser les bases de la création d’une nouvelle communauté : une communauté d’intérêt commun, au sens noble du terme.
1 Avocat au sein du cabinet Le Play ayant participé aux travaux de recherche de Mines ParisTech et du Collège des Bernardins
2 La théorie de la motivation de Richard Deci définit plusieurs types de régulation de la motivation extrinsèque dont la régulation identifiée : « même si l’activité au final est réalisée à des fins externes, elle devient valorisée et importante pour l’individu qui s’identifie alors à cette activité »